Cette photo a été prise dans la ville de « Tigre » située dans la province Buenos Aires, en Argentine. Comme nous habituons à proximité, ma famille et moi-même empruntions régulièrement cette route de « Camino de los Remeros » (chemins des rameurs) sur laquelle se trouvait ce panneau de signalisation. L'image est un beau symbole de l'expérience très contrastée que nous avons eu sur le sol argentin !
On y retrouve des marqueurs forts de la végétation : des palmiers mais aussi et surtout les herbes de la pampa qui envahissent, avec superbe, des zones entières. Le souvenir de ces hautes herbes blanches balayées en masse par le vent et aux reflets scintillants car éclairées habilement par le soleil est encore très présent à mon esprit.
Dans mes souvenirs également, d'immenses espaces de verdure et d'immenses espaces tout court à l'état sauvage au coeur de la Patagonie. Une nature abondante et une exceptionnelle biodiversité (baleines, pingouins, otaries, éléphants de mer, dauphins,...) que les autorités tentent de protéger au mieux. 
Des paysages chaleureux et charmeurs à l'image de l'Argentine que nous avons découvert au travers des très jolies rencontres et expériences sur place : les argentins sont très tactiles, ils vous embrassent et vous étreignent facilement, le tango et son charme légendaire, les « asados » réguliers (barbecues de viande de boeuf grillée), des desserts dégoulinants de dulce de lèche (spécialité sucrée de la région), de délicieuses crèmes glacées disponibles à tous les coins de rue été comme hiver, etc... ​​​​​​​Alors ça vous donne envie ? Nous avions en plus la chance de résider au sein de la « bulle » de la province de Buenos Aires voire de l'Argentine : une grande zone pavillonnaire appelée « Nordelta ». Les résidents appartenaient, pour la plupart, à la catégorie CSP+ et le cadre de vie y était particulièrement agréable. 
Un tableau idyllique ? Pas vraiment, car comment ne pas également remarquer sur cette photo le tigre embusqué et ce côté sauvage qui transparaît de par sa présence ...​​​​​​​
Ce tigre est l'emblème de la ville de Tigre (qui doit son nom à la grande quantité de jaguars présents dans la région par le passé) mais il symbolise aussi pour moi les grands risques qui pèsent sur la société argentine depuis un certain temps : une crise économique et financière importante qui touche tout le monde, y compris nos anciens voisins considérés comme privilégiés. On déplore donc une progression de la pauvreté dans ce pays où les bidonvilles se multiplient. J'ai encore en mémoire le paysage désolant, boueux, sale et confus du bidonville  « Villa 31 » de Buenos Aires comparable aux favelas du Brésil et paradoxalement situé juste à côté d'un quartier cossu de la ville. J'ai aussi en mémoire la détresse et les larmes observées chez notre femme de ménage immigrée et d'origine très modeste que nous aidions régulièrement à boucler ses fins de mois et à envoyer de l'argent à sa mère au Chili. Un désespoir social affligeant. A déplorer également une agriculture intensive qui s'apparente à un désastre sanitaire, écologique et social depuis l'adoption d'un modèle agricole basé sur Des monocultures de soja OGM arrosées de pesticides... Ce pays est également victime d'une recrudescence des actes de violence, d'agressions, de vols à l'arrachée et de cambriolages sur tout le territoire. La « bulle » de Nordelta bien que moins touchée que la ville de Buenos Aires, n'était pas épargnée bien qu'il faille montrer patte blanche pour y pénétrer. Nous avons donc bénéficié d'une expérience complète en nous faisant un jour dérober quelques effets personnels au centre-ville de Buenos Aires! Un sentiment d'insécurité qui tranchait avec notre expérience en Chine.
Pour finir, ce panneau indique aussi un lieu d'intérêt de Tigre dénommé « Laberinto Jorge Luis Borges » (Labyrinthe Jorge Luis Borges). Jorge Luis Borges est LA référence littéraire en Argentine. Son oeuvre s'articule autour de contes, nouvelles et poèmes mêlant réalité et fantastique. C'était un écrivain de renommée internationale qui parlait d'ailleurs couramment le français et avait même été décoré de la légion d'honneur. Le labyrinthe de verdure réalisé en son honneur à Tigre est justement inspiré de son obsession pour les « labyrinthes » qu'on retrouve dans nombre de ses recueils et en particulier dans son conte « El jardin de los senderos que se bifurcan » (le jardin aux sentiers qui bifurquent). Ce conte, sous couvert d'une énigme policière, évoque un jardin-labyrinthe voir un labyrinthe de labyrinthes représentatif de l'infini des possibles qui s'offrent à nous au cours d'une vie. L'auteur nous rappelle que notre situation de l'instant résulte forcément d'actes et décisions passées et nous poussent ainsi à nous interroger sur notre rapport au temps. La présence du Labyrinthe de Jorge Louis Borges sur cette photo nous renvoie donc au passé de l'Argentine. Un passé glamour et vertueux lorsqu'on pense à l'icône Eva Perón et son combat contre la pauvreté mais un passé également très lourd et meurtrier qu'il est impossible d'ignorer de part la présence de nombreux lieux commémoratifs à Buenos Aires. La période de « Guerre sale » fut particulièrement sanglante et cruelle : meurtres, tortures, disparitions forcées, enlèvements d'enfants... Encore aujourd'hui et depuis 1977, des « grand-mères courage » défilent tous les jeudis pour obtenir la vérité sur leurs disparus et la justice à l’encontre des bourreaux. 
Jorge Luis Borges nous invite donc aussi logiquement à nous interroger sur l'avenir incertain de ce pays, de ses habitants et sur le champ des possibles... J'ai quitté l'Argentine heureuse d'y avoir vécu mais aussi un peu inquiète, me posant mille questions sur ce qu'il adviendrait de ce pays. Va-t-on pouvoir protéger cet environnement exceptionnel ? Va-t-on pouvoir endiguer cette crise économique et cette violence ? Les blessures monstrueuses du passé pourront-elles se refermer un jour ?

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